Germain O’Neill (v. 1620 – 1685)

Un mystérieux capitaine qui fit souche en France


Germain Ó Néill est, à ce jour, le premier aïeul en France dont nous ayons pu retrouver la trace. La branche française de la famille O’Neill à laquelle nous appartenons est distincte, rappelons-le, de celle dite des « comtes de Tyrone » ayant principalement résidé à la Martinique depuis le XVIIIe siècle et qui s’est éteinte dans les années 1920. Cette dernière, en effet, prétendait descendre de Seán (dit aussi Shane ou John), troisième frère du Grand Hugues (Aodh Mór Ó Néill) mort à Rome en 1616.

C’est de Germain, cette « oie sauvage », que descend toute notre famille. Son père ne nous est pas connu car l’acte de mariage de Germain ne mentionne pas sa filiation ni son lieu de naissance. Nous savons juste que Germain, présenté comme escuyer (écuyer, ce qui sous-entend la qualité nobiliaire) et qui se disoit gentilhomme, était originaire du Royaume d’Irlande, qu’il parloit francois, avec l’accent, et le ton etranger1. Nous connaissons également son nom de guerre, « Saint-Germain », cité dans l’acte de baptême de son fils Jean.

Son arrivée en France se situe probablement au cours de la grande vague de départs de soldats irlandais vers la France et l’Espagne, entre 1649 et 1653, alors qu’Oliver Cromwell et ses « Côtes de fer » ravageaient l’Irlande2. Notre famille n’est pas arrivée en France, comme on l’a beaucoup entendu, au moment de la « Fuite des Comtes » qui fait suite à la reddition d’Hugues le Grand à la bataille de Kinsale (1607), ni lors de la Brigade irlandaise entrée au service de la France après la bataille de la Boyne (1690) -défaite qui entérina la chute des Jacobites, le parti des Stuart catholiques en Angleterre-, phénomène qui se poursuivit jusqu’à la bataille de Fontenoy (1745).

Il est même possible que Germain ait été recruté dans l’armée française avant 1649 : on trouve, dans le régiment de La Ferté auquel il appartenait (voir plus bas), parmi d’autres soldats irlandais, un dénommé Geny dit Roquerois, marié à Bar-le-Duc la même année que lui. Un tel surnom rappelle évidemment la bataille de Rocroi qui vit, en mai 1643, le duc d’Enghien (le grand Condé) battre les armées espagnoles dans les Ardennes3. Mais rien, à ce jour, ne nous permet d’en savoir davantage.

De nombreux militaires à l’appel de la France

Le recrutement français pour l’affrontement avec l’Espagne (la Guerre de Trente Ans) est alimenté par l’Irlande et l’Ecosse, en particulier pour la période 1640-1660 où l’immigration pourrait atteindre 20 000 personnes, selon le Commentarius Rinuccinianus. Deux régiments entiers et un autre corps de 500 hommes passent en France entre 1645 et 1647 ainsi que des civils6.


En fait, Germain (peut être Diarmaid ou Diarmuid en gaélique ?) ne nous est connu qu’à partir de son mariage avec Anthoinette (Antoinette) Garnier4 en 1659 à Bar-le-Duc, alors sous égide française, peu avant la restitution de la Lorraine au duc Charles IV par le traité de Vincennes (1661)5.

Acte de mariage de Germain de Naisle avec Anthoinette Garnier, le 14 janvier 1659.

« En lannée 1660 1659… … Du 14 Januier Germain de Naisle escuyer hirlandois lieutenant au regiment de Monseigneur le Mareschal a espousé Anthoinette Garnier en presens de Mr. Billant aduocat & plusieurs autres. »

Les transpositions « à la française » du nom O’Neill (Ó Néill, selon la graphie irlandaise), rencontrées dans presque tous les documents des XVIIe et XVIIIe siècles, ont de quoi surprendre. Si, aujourd’hui, nous sommes habitués à la présence dans notre environnement de patronymes de toutes origines, dont nous nous attachons à respecter scrupuleusement l’orthographe, il n’en allait pas de même par le passé. A cette époque où même l’orthographe du français n’était pas complètement fixée, on privilégiait la commodité orale et écrite en adaptant ou en traduisant les noms étrangers à l’intention de locuteurs qui ne connaissaient pas d’autre façon de prononcer que celle du français.12

C’est ainsi que le « Ó », qui signifie « issu de » en irlandais, fut naturellement traduit en « de », et « Néill » indifféremment écrit en Naisle, Nesle, Nelle, Nell, Nel, Neil ; on trouve également les formes Denel, Donell, d’Onel, Onel, Honel, Onelle, Onnel, Oneil, Ôneill ou encore Ô-Neïll, avant que ne soit adoptée, au XIXe siècle, la forme à l’anglaise O’Neill.

Successivement lieutenant au régiment de La Ferté3 (jusqu’en 1660)7, enseigne (1660-av.1668)8, puis capitaine (av. 1668-1670)9 dans les troupes de Lorraine pour le service de Son Altesse (Charles IV, duc de Lorraine et de Bar), Germain fut réformé avant 167010.

Germain mourut en janvier 1685, selon ce qu’affirme l’écuyer Jean Lepaige dans ses mémoires, cités par son fils11. Les actes de sépulture antérieurs à 1690 pour le département de la Meuse ayant malheureusement disparu, il n’a pas été possible de vérifier la date précise de son décès aux archives départementales de la Meuse.

Germain eut 11 enfants:

  • I. THOMAS (1659-av.1741)
  • II. FRANÇOISE (1660-av.1741)
  • III. CATHERINE (1662-av.1741)
  • IV. JEANNE (1663-av.1741)
  • V. MARIE MARGUERITE (1665-av.1741)
  • VI. JEAN (-BAPTISTE) (1667-1749)
  • VII. CHARLES (1668-1749)
  • VIII. FRANÇOIS (1670-av.1741)
  • IX. GERMAIN (1671-av.1741)
  • X. ADRIEN (1673-1741)
  • XI. ANTOINETTE (1678-av.1741)

Comme l’atteste la succession de son fils Adrien, il ne restait que trois enfants vivants en 1741 (la succession se divisant entre Jean-Baptiste, Charles, et les enfants de Catherine, décédée).


1 Acte portant rectification de l’orthographe du nom à la demande de Charles et Adrien Ó Néill (1734) – Fonds Bressant de Raze, Archives départementales de la Haute-Saône, Vesoul.
2 Pierre Gouhier, Mercenaires irlandais au service de la France (1635-1664) in Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, année 1968 tome 15-4 pp. 685.
3 Parmi les lieutenants du Grand Condé, on trouvait notamment un certain La Ferté Sénectère, futur maréchal de France (Henry II de Saint-Nectaire ou Senneterre (1600-1681), duc de La Ferté). Il se distingua à Hesdin en 1638 où il fut nommé maréchal de Camp. Promu Lieutenant général des armées du Roi après la bataille de Rocroi, il recevra en récompense le Gouvernement de la Lorraine. Maréchal de France en 1651, il est fait Gouverneur de Metz, Vic et de l’Evêché de Verdun après la signature du traité de paix entre la France et l’Espagne (1659).
4 Née le 2 octobre 1633, fille de Jean Garnier et Catherine François (source AD Meuse, paroisse ND à Bar) Ant(h)oinette avait donc 26 ans lors de son mariage.
5 Le duché de Bar fut, comme le reste de la Lorraine, envahi par les troupes françaises en 1632 et connut toutes les vicissitudes par lesquelles passa ce territoire durant le règne orageux du duc Charles IV de Lorraine (1624-1675). Ce dernier prit parti contre la France pendant la guerre de Trente Ans, ce dont il fut puni par l’occupation de ses États où il ne rentra qu’en 1641, aux termes d’une négociation par laquelle il acceptait le protectorat français. Mais cette accalmie fut brève puisque la même année, il en fut à nouveau chassé pour avoir comploté contre la France auprès du comte de Soissons. Le Traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659, lui enlevait le Barrois. Il parvint cependant à convaincre Mazarin de le lui restituer par le traité de Vincennes du 28 février 1661. À partir de 1670, les duchés de Lorraine et de Bar furent définitivement occupés par la France ; ils seront rattachés à la Couronne en 1766.
6 Éamon Ó Ciosáin, La migration irlandaise vers la France (1590-1690) in La France et l’Irlande : destins croisés (16e-21e siècles) sous la direction de Catherine Maignant, PU du Septentrion, 2013 pp. 16-17.
7 cf. acte de baptême de son fils Thomas.
8 cf. acte de baptême de sa fille Françoise.
9 cf. acte de baptême de son fils Charles.
10 cf. acte de baptême de son fils François.
11 Date donnée par Jean Lepaige, son fils, écuyer, conseiller de S.A.R., maître et auditeur en la Chambre du Conseil et des Comptes du Duché de Bar in Acte portant rectification de l’orthographe du nom à la demande de Charles et Adrien Ó Néill – Fonds Bressant de Raze, Archives départementales de la Haute-Saône, Vesoul.
12 Sur ce chapitre, il est intéressant de consulter la rectification officielle du nom pour être plus conforme à l’original irlandais, faite par ses fils Adrien (aumônier du duc d’Orléans) et Charles (huissier à Bar), suite à enquête.